Fès fut fondée en 810 par le Sultan Idriss II, roi pacificateur succédant à son pere Idriss le conquérant, descendant du prophete. Fès , dès sa fondation attire une immigration juive de haut niveau de toute la diaspora : de Kairouan, en Tunisie, d'Egypte, de Perse, de Babylone et d'Espagne. Aux 800 familles musulmanes d'Andalousie se joignent également de nombreuses familles juives qui, sur invitation d'Idriss II, viennent faire béneficier la nouvelle capitale de leur savoir et de leur art. Fès devient le centre juif par excellence du Maroc, et l'un des centres de culture juive de premier plan. Sur le plan culturel, l'Afrique du Nord s'ouvre lentement à la penetration du Talmud, prenant position contre le courant karaite qui veut en rester au seul pentateuque. Les échanges avec les Gueonim de Babylonie se developpent avec comme centre de relais la ville de Kairouan, à l'est, centre flamboyant de la culture juive et musulmane de l'époque.
Le courant de prisonniers de Babylonie amenés en Afrique du Nord et en Espagne favorise le passage du flambeau de Babylone en Afrique du Nord. Rabbi Houchiel à Kairouan, Rabbi Hanoch et son fils à Cordoue fondent des centres d'études vers lesquels affluent des étudiants de toute l'Afrique du Nord, et forment des générations de Talmudistes. Parallèlement les Yechivot de Babylone se depeuplent, manquent d'argent et se tournent vers le nouveau centre qu'est devenue l'Afrique du Nord et plus particulierement Fès et Kairouan.
Vers l'an 900, nait à Fes Rabbi Yehouda Bar Hayoug le plus célèbre des grammairiens hebraïques de son époque. Les autres noms de cette époque sont Rabbi Schmuel Hacohen qui émigre de Fès en Espagne et Rabbi Yaacov Bar Nissim Ben Chaon qui quitte Fès pour Kairouan. Cette vague de départs n'est pas fortuite mais consécutive à la perte du pouvoir par les Idrissides et la prise de Fès par les Zirides en 1032.Les assaillants auraient alors massacré plus de 6000 habitants juifs de la ville et depouillé les survivants. Les troubles qui accompagnent la montée au pouvoir d'une nouvelle dynastie les Almoravides (1060-1130) contribuent à faire perdre lentement à Fès son role de centre de création juive qui passe insensiblement en Espagne.
Sous les Almoravides qui, avec Yossef Ben Tachlin, leur premier souverain, mettent leur principale ambition à reconquérir les parties de l'Espagne passées entre les mains chrétiennes, se créent les conditions de la symbiose totale entre le Maroc et l'Espagne, le centre de création étant en Espagne mais alimenté par le Maroc. Les communautes juives d'Espagne connaissent alors une grande prospérité.
Vers les années 1120-25 apparait à Fes un prophète Moshe Dhery qui annonce le Messie pour l'année 1127, ses prèches à Fes et à Meknes font grande impression aussi bien aux musulmans qu'aux juifs. L'echec de sa prophétie entraine un mouvement contre les juifs et de nombreuses conversions forcées à l'Islam.
A partir des années 1100, dans le sud du Maroc, se lève une nouvelle secte musulmane les Almohades qui prèche le retour aux sources de l'Islam pur et dur. Ils veulent purifier le Maroc de toute présence non musulmanne. Leur chef Abdel Moumen part à la conquete des villes du Maroc, Meknes est prise en 1146, Tlemcen en 1147 ainsi que Marrakech. Les persécutions contre les juifs font des ravages en Espagne et dans tout le Maroc. A Fes, la situation se stabilise après une premiere vague de persécutions. Parmi les refugiés d'Espagne arrivent à Fes en 1159 la famille Mimoun : Rabbi Mimoun et ses fils David et Moshe ( Maimonide). La situation reste très difficile, les conversions à l'Islam massives, Maimonide refuse de condamner les Anoussim (convertis de force) contrairement au grand rabbin de Fès et estime que l'émigration est la seule solution. Il part en 1165 pour l'Egypte.
Lentement la dynastie Almohades devient décadente, ce qui permet le maintient d'une vie juive à Fes et dans tout le Maroc. La déroute des troupes arabes face aux armees chrétiennes en Espagne, sonne le glas de l'unité de L'Afrique du Nord et de la dynastie des Almohades.
Les Merinides s'installent à Fès en 1250. Ces nouveaux maitres plus tolérants permettent un renouveau de la vie juive au Maroc. Ainsi en 1224 il ne restait aucune synagogue au Maroc, toutes ayant ete détruites. Fès redevient la capitale sous le règne de Moulay Yacoub Youssef (1269-1286), et devient un grand centre de commerce international, un immense entrepot en contact avec les ports d'italie, d'Espagne et de toute l'Afrique du Nord. Les commercants juifs jouent un role de premier plan.
Pour protéger la population juive grandissante, le Sultan Moulay Yacoub installe les juifs dans la nouvelle ville qu'il se construit Fes Eljdid, à l'ombre de son palais. Fès redevient un centre d'études juives important et une pépinière de rabbins. Cette situation se détériore lentement et en 1391 lors de la vague de persécution qui s'abat sur les juifs d'Espagne, la plupart des refugiés prefereront l'Algerie au Maroc. Le premier quartier reservé aux juifs est fondé à Fès à cette époque dans une zone reservée au commerce du sel d'ou le nom donné : Mellah .
La découverte du tombeau de Moulay Idriss II et le corps miraculeusemnt conservé du fondateur de Fès, et descendant direct du prophete fait de Fès une ville sainte de l'Islam. La presence d'infidèles près de la tombe du saint homme ne pouvant etre toléré , les juifs furent obligés de quitter Fes El Bali (la vieille ville) pour un quartier fermé par des portes le Mellah. Le climat de jalousie contre les juifs est tres violent et en 1465 un pogrom éclate , c'est la ruée vers le Mellah et le massacre est général. Peu reussissent à fuir à temps.
Pourtant en 1492 , c'est à Fès que furent regroupés les juifs refugiés d'Espagne, dans un immense camps de cabanes et de tentes près de Fès .Mais les épidemies et surtout un violent incendie détruisent ce camp. La famine éclate et nombreux sont ceux qui quittent Fès pour les autres villes du Maroc, ainsi que la Terre Sainte et le Moyen Orient. D'autres restent à Fès ou ils s'intègrent dans la communaute de la ville , les Takanot de Castille devenant la règle mais la langue parlée étant alors l'hébreu et l'arabe dialectal.
Vers 1510 une illustre famille de descendants du prophete entreprend la conquete du Maroc, ce seront les fondateurs de la dynastie SAADienne, en 1548 Fès est conquise une premiere fois, mais les Merinides alliés aux turcs reprennent la ville en 1554 et poursuivent Mohamed El Cheikh jusqu'à Marrakech. Les turcs s'acharnent sur la population juive du Souss qui subit une razzia en regle. Fin 1554, Mohamed El Cheikh contre attaque et reprend Fes. La capitale du Maroc est tranferée à Marrakech. Pour financer toutes ces guerres, la population juive est lourdement taxée, de plus en 1557 une grande épidemie s'etend sur tout le Maroc causant la mort de 7500 juifs a Marrakech et 1640 juifs a Fes.
La mort du Sultan Moulay Abdallah al-Ghalib en 1574 ouvre une guerre de succession de 4 ans tres violente qui s'acheve par la bataille des 3 rois celebrée par les juifs de Fes comme le "pourim de los Tres Reyes". Le nouveau souverain Ahmed El Mansour a de très bonnes relations avec les juifs, son long règne (1578-1603) est l'apogée de la dynastie saadienne . Cette période est celle d'une intensification des échanges commerciaux grace surtout aux marchands du Sultan, en particulier la famille Pallache de Fès.
A la mort du Sultan Ahmed El Mansour, une période d'anarchie sur fond de guerre de succession s'ouvre. La communaute juive est lourdement taxée et subit de plein fouet la secheresse des annees 1604-1606 faisant dans tout le Maroc des milliers de morts. A Fes il y eu plus de 3000 morts et 2000 conversions a l'Islam. Les memes scenes de secheresse et de famine se renouvellent en 1614-1616, 1621-1622 et en 1624. L'insécurite, les guerres et la paupérisation générale cree un terrain favorable pour la crise shabtaiste.
L'anarchie marque la fin de la période saadienne, favorisant l'avènement des Alaouites (1659) originaires du Tafilalt, dynastie qui règne encore de nos jours.
Cependant, grâce au dynamisme et aux qualités pédagogiques des rabbins espagnols récemment immigrés, Fès redevint, en moins d'un quart de siècle, un important foyer d'études juives. Le Livre des Takanot des Mérougachim y fut rédigé par des rabbins de renom comme Rabbi Yossef Gabay, Rabbi Itshak Ben Rabbi Vidal SARFATI, Rabbi Yossef BENAMRAM, Rabbi Shmuel Haguiz, Rabbi Saadia Ben DANAN, Rabbi Saul Ben David SERERO et Rabbi Itshak ben Zimra. Le leadership de Fès sur l'ensemble des communautés marocaines fut incontesté jusqu'au décès, en 1753, de l'une de ses grandes figures, Rabbi Yaacov Abensour ou Yaabetz.
Les persécutions et exactions que subit cette communauté au XVIII" siècle, ainsi que les famines de 1735 et 1737, puis le règne désastreux de Moulay Yazid (1790-92) entrainèrent le déclin de la ville alors que d'autres centres juifs se développaient à Tétouan, Mogador, Meknès ou dans le Tafilalt.
Photo of es-Skkakin street in Fez
around 1920. In the background, can be seen
the gate to the Jewish quarter (Bab el-Mellah).
On the right, Arab shops and a baker established
by the French protectorate. In the foreground,
a Jew wears the traditional black clothing.
Daniel E. LOEB, eMail: loeb17@gmail.com